Nous faisons constamment face à des incertitudes. En termes simples, « l’incertitude » signifie que nous n’avons pas 100 % des informations pour comprendre comment fonctionne un système. Ainsi, n’ayant presque jamais toute l’information sur quelque chose, nous devons continuellement prendre des décisions en situation d’incertitude.
Le risque peut découler de l’incertitude. En termes simples, le risque signifie que les choses pourraient parfois mal tourner ou qu’une décision ou une situation pourrait entrainer des conséquences négatives. Nous ferons face à plus ou moins de risques selon notre niveau d’incertitude.
Il existe différents types de risque, du risque de sinistre au risque économique en passant par le risque pour la santé. Comme dans le cas de l’incertitude, nous vivons constamment avec le risque : les activités quotidiennes comme marcher, conduire ou nager comportent des risques. En d’autres mots, le risque et l’incertitude font partie de la vie de tous les jours.
Comment, en tant que société, vivons-nous avec la menace constante du risque ? C’est simple : nous prenons des mesures qui réduisent le risque ou augmentent notre capacité à vivre avec, ou à nous remettre de ses impacts. Face à l’incertitude, nous passons alors à l’action afin de réduire ce risque.
La meilleure façon de gérer le risque des changements climatiques constants est d’empêcher ces derniers de se produire en premier lieu. Comme nous allons le découvrir ci-dessous, il se peut qu’on ne s’attende vraiment pas à l’ampleur finale de ces changements. Mais en passant à l’action face à cette incertitude, nous pouvons réduire le risque plutôt que de faire l’inverse soit ignorer la science et permettre au risque d’augmenter.
Le processus scientifique et la modélisation du climat
La science est un processus dans lequel des idées expliquant « comment les choses fonctionnent » sont présentées, testées avec les données disponibles à ce moment, puis ajustées et rejetées si ces données n’appuient pas l’idée initiale. C’est un processus qui ne cesse d’évaluer et de réévaluer les idées acceptées antérieurement au fur et à mesure que de nouvelles données sont récoltées et que les idées se précisent. En d’autres mots, les scientifiques essaient constamment de prouver qu’ils ont tort et de trouver de meilleures idées.
L’incertitude est une partie normale de la science, incluant la science de la modélisation du climat, et les climatologues reconnaissent totalement que leurs modèles ne sont pas parfaits et ne le seront jamais. Aucun modèle, scientifique, économique ou autre, ne l’est jamais. La science ne peut jamais être 100 % certaine des prédictions qu’elle fait, surtout lorsqu’il s’agit de systèmes aussi complexes que le climat mondial.
Au sein de la communauté de la modélisation du climat, des équipes de chercheurs de partout dans le monde créent leurs modèles de manière indépendante afin d’être libres d’explorer différentes façons de modéliser le climat. Le fait que les modèles s’entendent autant sur les probables changements de climat au cours des prochaines décennies est un bon signe ; peu importe leur façon de simuler le monde réel, le niveau d’accord des différents modèles indique qu’ils font un bon travail en matière de simulation des plus importants processus climatiques. Une autre preuve que les modèles fonctionnent adéquatement est que lorsqu’ils sont utilisés pour simuler le climat du passé, les résultats sont très semblables au climat qui a réellement existé.
Incertitude et modèles climatiques
Lorsqu’il est question de comprendre et modéliser les futurs changements climatiques, les climatologues doivent composer avec trois principales sources d’incertitude.
La variabilité naturelle du climat
Le système climatique comporte plusieurs composantes, certaines plus importantes que d’autres, et chacune fonctionnant sur différentes échelles temporelles. Ces composantes internes s’affectent mutuellement de différentes façons ; un changement dans une composante affecte une autre composante, qui à son tour en affecte une autre, etc. Par conséquent, la température moyenne de la planète augmente et chute toujours d’une année à l’autre, et même d’une décennie à l’autre par le biais de processus naturels. Ceci représente clairement un défi pour les modèles climatiques ; des modèles fiables du système climatique devraient être donc en mesure de simuler les variations du système grâce à des processus naturels.
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Parmi les sources de variabilité naturelle interne qui affectent le climat (pendant des années et des décennies) on retrouve : des changements de température à la surface des mers, dans l’océan Pacifique en raison d’évènements liés à El Niño et La Niña, une variabilité interannuelle des quantités de neige et de glace sur la surface de la Terre, des variations au niveau de la quantité de chaleur et de gaz échangés entre l’atmosphère et la surface, et des changements au niveau de la force et des courants océaniques et des courants-jets atmosphériques, pour ne nommer que ceux-là. Il y a aussi des sources externes de variabilité naturelle, la plus importante étant le cycle de 11 ans des taches solaires qui entraine une faible variation de la brillance du Soleil au cours du cycle. De grandes éruptions volcaniques peuvent également avoir un impact sur le système climatique en projetant dans l’atmosphère de grandes quantités de matières réfléchissant la lumière du Soleil pendant quelques années. Plusieurs des composantes internes s’affectent mutuellement, et ce, de différentes façons; un changement dans une composante affectera une autre composante, qui en affectera une autre et ainsi de suite. Par conséquent, la température moyenne de la planète augmente et chute toujours d’une année à l’autre, et même d’une décennie à l’autre, via des processus naturels.
L’incertitude du modèle climatique
Les modèles climatiques sont des programmes informatiques forts complexes qui simulent les processus atmosphériques et leurs interactions avec la surface de la Terre. Ils sont principalement utilisés pour évaluer comment les climats autour du monde vont probablement changer au cours des prochaines années si nous continuons à augmenter la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Bien que ces modèles incluent une très grande quantité de variables et utilisent des équations sophistiquées pour simuler les changements climatiques dans le temps, ils demeurent des simplifications de monde réel. De plus, même s’ils sont exécutés avec les superordinateurs les plus puissants, ils ne peuvent simuler toutes les conditions du système climatique. Ils peuvent seulement produire des résultats qui représentent des conditions dont la résolution est relativement faible (c’est-à-dire qu’ils produisent des points de données qui peuvent être très distancés).
Les modèles s’améliorent de plus en plus, car les modélisateurs continuent à améliorer leur façon de simuler les processus climatiques et les ordinateurs deviennent de plus en plus puissants, mais les modèles sont, et seront toujours, des simulations imparfaites. De plus, tous les modèles climatiques comportent certaines différences suivant la façon dont les modélisateurs ont choisi de représenter les processus et leurs interactions. Par conséquent, même lorsque les modèles reçoivent les mêmes intrants, les résultats varient.
Le niveau d’incertitude dans les projections des modèles climatiques provenant des modèles eux-mêmes est beaucoup plus important que celui associé à la variabilité naturelle.
L’incertitude des émissions futures
Le plus grand degré d’incertitude au niveau des projections des modèles climatiques est de loin causé par le fait que nous ne savons pas quelles seront les concentrations de gaz à effet de serre dans le futur. Lorsqu’on demande aux modèles climatiques comment le climat risque de changer si nous ne réduisons pas nos émissions de gaz à effet de serre, ils indiquent tous qu’il sera beaucoup plus chaud et très différent globalement. Si on leur demande quels seront les changements si nous réduisons nos émissions de manière drastique, le réchauffement et les changements seront alors bien moindres.
Donc, lorsque les modèles simulent des changements climatiques pour différents scénarios d’émissions (ou profils représentatifs d’évolution de concentration (ou RCP, de l’anglais « Representative Concentration Pathways »), l’éventail des incidences est très grand. Le graphique ci-dessous montre clairement que l’incertitude liée aux scénarios d’émissions est beaucoup plus importante que celle liée à l’incertitude du modèle climatique (réponse) et de la variabilité naturelle (que l’on présume ici être constante dans le temps).
Description de l’image : Représentation de l’importance relative des principales sources d’incertitude dans la modélisation du changement de la température moyenne mondiale. La zone grise montre l’incertitude dans les évaluations de la température moyenne mondiale durant une période historique; les lignes noires montrent la température moyenne mondiale observée. [1]
Reconnaître l’incertitude
Comme mentionné précédemment, l’incertitude est une caractéristique normale du processus de modélisation, surtout lorsque les modèles simulent quelque chose d’aussi complexe que le climat mondial. On s’attend aussi, et c’est normal, que les modèles utilisés pour faire des projections en matière de changement climatique soient quelque peu différents. Par conséquent, les rapports produits par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) soulèvent une multitude de changements prévus.
Par exemple, l’évaluation du GIEC publiée en 2014 mentionne que la température moyenne mondiale à la surface pour la période 2081 à 2100 sera probablement plus chaude de 2,6°C à 4,8°C que celle observée durant la période 1986 à 2005 (en présumant que les émissions mondiales de carbone continueront à être très importantes)[2].
La fourchette des changements de température mentionnée découle d’une analyse statistique des résultats de plusieurs modèles climatiques (qui utilisent toutes les mêmes suppositions sur comment les humains affecteront l’atmosphère), et représente la fourchette des incidences allant de 5 à 95 % ; la conclusion étant qu’il y a 5 % de chance que le réchauffement soit inférieur à 2,6°C et 95 % de chance que le réchauffement soit inférieur à 4,8°C. Le mot probable dans l’énoncé sur la fourchette de température du réchauffement est une évaluation, par des experts, de la probabilité que l’incidence mentionnée soit « vraie », étant donné le niveau d’incertitude associé aux modèles. Dans l’évaluation 2015 du GIEC, probable implique une probabilité de 66 à 100 % quant à l’incidence mentionnée.
De plus, un autre ensemble de mots (ex. : très élevé, élevé, moyen) est utilisé pour déterminer les niveaux de confiance qu’ont les experts dans la validité des résultats rapportés. Le niveau de confiance est affecté par la quantité, la qualité et la cohérence des preuves, et le degré de consensus entre les modèles. La confiance quant à la fourchette de température du réchauffement notée ci-dessus a été évaluée comme élevée.
Oui, tout ceci se complique, mais il est important que les climatologues mentionnent qu’une incertitude est associée à leurs projections, et qu’ils précisent le degré de cette incertitude, et pourquoi. Voilà le but de cette utilisation minutieuse et précise, quoique technique, de la confiance et de la probabilité.
Pouvons-nous nous fier aux projections des modèles?
Les modèles ne sont pas parfaits et ne le seront jamais. Mais les modèles climatologiques utilisés pour évaluer les changements climatiques au cours des prochaines décennies font un excellent travail lorsqu’il s’agit de représenter les climats actuels et du passé qui constituent une très bonne indication pour les climats futurs. Chacun des modèles fait une approximation du système climatique et de ses nombreuses composantes de manière légèrement différente et produit, sans surprise, des résultats légèrement différents.
Cependant, tous les modèles racontent essentiellement la même histoire : le système climatique va continuer à changer de façon importante, surtout si nous continuons à émettre de grandes quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Notons que tous les modèles nous avertissent que de graves changements climatiques se produiront probablement si nous ne réduisons pas bientôt nos émissions. Il serait donc imprudent de notre part de ne pas porter attention à ce que les modèles prédisent; le risque est énorme si nous ignorons ce qu’ils nous disent sur notre manière de changer le climat.
Références
- Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Changements climatiques 2013 : les éléments scientifiques.
- Cubasch, U. et al. « Chapitre 1 : Introduction. » dans : Changements climatiques 2013 : les éléments scientifiques. Contribution du Groupe de travail I au cinquième. Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.