Agir sur les émotions liées au climat

Agir sur les émotions liées au climat

Les changements climatiques sont une menace complexe et intimidante qui peut susciter de bouleversantes émotions, telles que l’anxiété, la dépression, le chagrin et le désespoir. Puisque les changements climatiques représentent une menace à long terme, nous devons apprendre à faire face aux émotions potentiellement difficiles qu’ils peuvent provoquer pour assurer notre bien-être dans le temps. Si nous apprenons à gérer ces sentiments, nous pouvons les reconnaitre comme des signes de notre compassion et de notre lien avec le monde qui nous entoure, et les exploiter comme des motivations importantes pour agir contre les changements climatiques.

Adam Hannibal, psychologue scolaire, décrit l’importance de trouver un équilibre entre la reconnaissance de ces sentiments difficiles et leur canalisation dans l’action. Hannibal explique son approche du travail avec les jeunes au centre-ville de Winnipeg : « Je valide leurs inquiétudes, mais je signale aussi qu’il y a des recherches encourageantes et beaucoup de solutions… et j’essaye de les pousser à agir. »

Stratégies d’adaptation à la détresse liée au climat

Les professionnels de la santé mentale suggèrent trois types de stratégies pour s’adapter à notre détresse liée au climat : des stratégies pour gérer nos émotions, des stratégies pour passer à l’action face au climat et des stratégies pour nous aider à recadrer le problème et trouver de l’espoir.[1][2]

1. Gérer nos émotions

La première catégorie de stratégies a pour objectif de nous aider à gérer nos émotions difficiles liées aux changements climatiques. Il est important de prendre le temps d’explorer ces émotions lorsqu’elles font surface, soit en écrivant dans un journal intime soit en en discutant avec des personnes proches. Explorer et nommer les émotions peut être une tâche difficile, mais c’est une première étape pour nous aider à travailler avec elles.

Il est important de reconnaitre que ces émotions sont normales. Entrer en contact avec d’autres personnes qui ressentent des émotions similaires peut nous aider à réaliser que nous ne sommes pas seuls dans cette expérience. Nous pouvons aussi chercher des témoignages en ligne de personnes qui ont parlé de leurs problèmes de santé mentale dus aux changements climatiques (par exemple, voir la lettre ouverte écrite par la jeune militante de seize ans, Lauren Wright). Le soutien social des autres nous aide à gérer nos émotions et à nous sentir moins seuls face à ces défis.

Lorsqu’elle se sent anxieuse, la jeune militante Maria Farag se tourne vers les personnes de son entourage. « Je sais qu’il y a tellement d’autres personnes qui ressentent exactement la même chose que moi », explique Farag. « Alors tendre la main à ces personnes m’aide souvent. Même si aucun de nous n’a de solution, ça fait du bien de parler et d’être rassurée. »

Lisez également : Trouver votre communauté climatique

Certains groupes et programmes au Canada peuvent aider les personnes en détresse climatique à entrer en contact avec d’autres, comme :

  • Climate Cafés, organisé par des groupes tels que le Canadian Climate Challenge[3]
  • Carbon Conversation Groups, comme ce groupe communautaire à Toronto[4]
  • Work That Reconnects Network[5]
  • Eco-anxious Stories[6]

Cela pourrait être intéressant de chercher à savoir si certains de ces groupes existent dans votre région, et s’il n’y en a pas, vous pourriez envisager de rassembler des membres de votre communauté pour en créer un.[7][8] Pour une liste des centres climatiques actifs à travers le Canada, consultez ce site internet : http://climatehub.ca.

Ce qui peut aussi aider est de participer à ce que l’on appelle des « pratiques d’éco-thérapie », ainsi passer plus de temps à l’extérieur (par exemple, se détendre dans un parc, marcher, skier, jardiner). Les recherches démontrent qu’être dans la nature améliore l’humeur, la concentration, la créativité et diminue même le stress.[9][10] Malheureusement tout le monde n’a pas un accès égal à l’extérieur; en particulier, les communautés racisées ont souvent moins de temps ou d’opportunités pour se retrouver dans la nature.[11] Il est très important de créer et supporter des opportunités pour ces communautés afin de garantir que les bénéfices potentiels pour la santé mentale soient accessibles à tous.

2. Agir sur les changements climatiques

La deuxième catégorie de stratégies d’adaptation nous encourage à agir sur le problème, à ré-duire quelques émotions difficiles et à nous donner le sentiment d’agir face à un problème énorme. Les recherches montrent que transformer l’anxiété en action peut être bénéfique pour notre santé mentale. Constater des changements concrets engendrés par nos actions peut nous donner l’espoir que nous sommes capables de nous adapter et de faire partie de la solution. Bien sûr, il est aussi important de reconnaitre que la responsabilité de la résolution des changements climatiques ne repose pas exclusivement sur les épaules d’un individu, et que chacun peut jouer un rôle dans un mouvement plus large vers les changements systémiques nécessaires.

« L’action est probablement le meilleur remède en ce moment », dit Hannibal. Il recommande aux gens de « réfléchir aux façons dont votre famille peut entreprendre des actions qui non seule-ment la renforceront, parce que vous ferez des choses ensemble, mais vous donneront le sentiment tangible que vous faites une différence ».

On peut s’engager à la fois dans des actions individuelles (par exemple prendre son vélo au lieu de conduire, manger plus de plat à base de plantes, et composter), mais aussi dans des actions collectives (par exemple joindre un groupe environnemental communautaire, assister à un rassemblement sur le climat et participer à des systèmes démocratiques). Bien sûr, les responsables politiques, l’industrie et les autres décideurs doivent mettre en œuvre des changements dans nos plus grands systèmes, mais il est important de se souvenir qu’ils peuvent être influencés par des pressions sociétales et des mouvements menés par des personnes. En changeant notre comportement et en nous impliquant dans de plus grands mouvements, nous pouvons inspirer d’autres personnes à faire la même chose, ce qui génère un effet ricochet dans notre réseau social.

Lisez également : Construire une communauté par l’action collective

Lena Andres était l’une des chefs de file du mouvement de grève étudiante à Winnipeg, inspirée par Greta Thunberg et le mouvement international ‘Fridays for Future’. Andres explique que construire une communauté avec les personnes avec lesquelles elle s’organisait a amélioré sa santé mentale et lui a donné du courage.

« Lorsque j’ai commencé à m’organiser, j’avais peur et j’étais constamment très stressée par les changements climatiques », a dit Andres. « Et ensuite, alors que je devenais de plus en plus impliquée, j’ai rencontré les meilleures personnes qui soient. L’un de mes mentors a dit, ʺ les gens viennent pour la cause, mais ils restent pour les relations ʺ. Cela m’a vraiment aidé à réaliser pourquoi je reste. Je m’intéresse toujours à ce problème, et c’est la chose la plus importante pour moi, mais il y a aussi des gens autour de moi qui se battent aussi pour la cause et je les aime et je me soucie d’eux et je ne peux imaginer les laisser se débrouiller seuls. »

Andres a été une porte-parole et une organisatrice très éloquente, mobilisant les jeunes de sa communauté et amenant les générations plus âgées à réfléchir attentivement et de manière critique à la façon dont les alliances intergénérationnelles et l’impulsion peuvent renverser le cours des choses en matière d’action climatique. Les jeunes, comme Andres, se soulèvent dans tous les pays du monde, font entendre leur voix et orientent la société dans une direction positive pour aborder les changements climatiques.

Lena Andres, jeune activiste pour le climat et sa co-organisatrice à la semaine d’action de la grève mondiale pour le climat de 2019 à Winnipeg

Une action clé que nous pouvons entreprendre est d’avoir des conversations avec des amis et la famille. Même si ces conversations peuvent être difficiles au début, elles sont nécessaires pour changer les normes sociales concernant la crise du climat.[12]

3. Recadrer la menace et trouver l’espoir

Finalement, puisque la crise du climat est une crise à long terme, nous devons développer un espoir et une résilience durables. Cette troisième catégorie de stratégies d’adaptation nous en-courage à recarder la crise du climat et à trouver une autre signification à cette menace. C’est important de trouver les choses qui nous donnent de l’espoir face aux impacts climatiques. Nous pouvons faire une liste de gens, d’évènements, de nouvelles ou d’autres choses qui nous donnent de l’espoir, mettre cette liste à un endroit où on la verra souvent et y revenir régulièrement pour y ajouter d’autres exemples.

Trouver des sources d’espoir est essentiel pour contrer ce que l’auteur Dr Elin Kelsey décrit comme la « croyance omniprésente de pessimisme et de morosité » à propos de l’environnement, résultant de la description négative du problème dans les médias. Dans le livre de Kelseys, Hope Matters, elle défend l’importance d’un « espoir fondé sur les preuves », qui jette un regard critique sur les problèmes auxquels nous faisons face tout comme les tendances et les progrès qui nous permettent de passer au travers de ces problèmes.32 « Si nous continuons à reproduire des sentiments de désespoir », explique Kelsey, « c’est un problème aussi gros que le problème [des changements climatiques] en soi. »

Vidéo : Dr Elin Kelsey explique pourquoi l’espoir est important

Dans cette vidéo, l’auteure Dr Elin Kelsey explique l’importance d’avoir de l’espoir et propose des conseils pour savoir où trouver la motivation dans les moments difficiles. Pour Kelsey, l’espoir est un « acte politique courageux » qui requiert du courage et de l’engagement face à l’incertitude.

Pour recadrer la menace, nous pouvons réfléchir à des significations alternatives ou aux conséquences positives de la crise climatique. Par exemple, nous pouvons nous concentrer sur le fait que la crise climatique nous donne l’opportunité de réimaginer le futur que nous désirons. En réimaginant ce futur souhaité, c’est important de le décrire le plus concrètement possible. Que voyez-vous dans ce futur? Qu’entendez-vous? Que ressentez-vous? C’est plus facile de rester motivé et d’avoir de l’espoir quand on a une vision claire de ce qui nous donne de l’espoir et de notre objectif final.[14][15]

Une autre stratégie qui peut aider est d’activement chercher des solutions ou des nouvelles positives sur la crise climatique (comme Anxiety-Free News ou Good News Network: Good News, Inspiring, Positive Stories).Il y a un parti pris négatif dans la couverture médiatique des changements climatiques, qui tend à se concentrer sur le « doom and gloom » (ou pessimisme) et il est facile de perdre la vue de toutes les superbes solutions existantes et qui sont développées chaque jour. Beaucoup de bonnes choses sont faites et c’est important de ne pas perdre de vue toutes ces initiatives.

Finalement, nous pouvons penser aux cobénéfices : les solutions à la crise climatique sont aussi bonnes pour la santé humaine et ont une multitude d’autres avantages. Cette façon de voir différemment peut nous procurer une énergie et une motivation à long terme pour l’action climatique.

Stratégies pour faire face aux émotions liées au climat

Lisez également : Exercice de réflexion et de discussion

Vous vous demandez peut-être par où commencer votre propre compréhension de ces défis en santé mentale. Voici quelques questions qui pourraient vous être utiles pour réfléchir à vos sentiments et à vos mécanismes d’adaptation, ou à en discuter avec d’autres personnes :

  1. Comment les changements climatiques vous font-ils sentir?
  2. Comment faites-vous face à la détresse liée aux changements climatiques?
  3. Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir pour le futur?
  4. Quels sont vos appels à l’action pour les autres?

Si vous éprouvez une détresse importante face aux changements climatiques, par exemple avoir de la difficulté à vivre votre vie quotidienne, cela pourrait être important de complémenter l’utilisation de ces stratégies avec le soutien de professionnels en santé mentale.

Conclusion

Bien qu’éprouver des émotions bouleversantes en réponse aux changements climatiques peut être extrêmement difficile, nous pouvons apprendre à reconnaitre que ces sentiments sont normaux et s’adaptent en réponse à une telle menace, et qu’ils peuvent servir de puissants facteurs de motivation pour l’action climatique. Pour conserver le bien-être face à cette menace à long terme, il est important d’adopter des stratégies d’adaptation pour passer au travers de ces émotions difficiles, notamment en se connectant à nos sentiments et en les utilisant pour nous motiver à passer à l’action et en trouvant nos sources d’espoir.

Il est important de savoir que vous n’êtes pas seul et que des communautés entières de gens sont engagées et actives pour la sensibilisation et l’action en faveur du climat. Ces réseaux ont une portée, une influence et un impact grandissants, et cette action individuelle et collective fait la différence maintenant et pour les générations futures.

Lectures complémentaires

References

  1. Ojala, M. (2012). Regulating worry, promoting hope: How do children, adolescents, and young adults cope with climate change? International Journal of Environmental & Science Education, 7(4), 537–561. http://www.ijese.com
  2. Davenport, L. (2017). Emotional Resiliency in the Era of Climate Change: A Clinician’s Guide. Jessica Kingsley Publishers.
  3. Canadian Climate Challenge. “Our Climate Cafe” https://climatechallenge.ca/events-campaign/our-climate-cafe/
  4. Carbon Conversation Toronto https://www.carbonconversationsto.com/
  5. The Work that Reconnects Network. https://workthatreconnects.org/
  6. Eco-anxious stories. https://www.ecoanxious.ca/
  7. Greenleaf, A. T., Bryant, R. M., & Pollock, J. B. (2014). Nature-Based Counseling: Integrating the Healing Benefits of Nature Into Practice. International Journal for the Advancement of Counselling, 36(2), 162–174. https://doi.org/10.1007/s10447-013-9198-4.
  8. Buzzell, L., & Chalquist, C. (2009). Ecotherapy: Healing with Nature in Mind (L. Buzzell & C. Chalquist (eds.)). Counterpoint.
  9. Roy, Inori. (2021, July 24). Shaking up the stereotypes about Ontario’s outdoors. The Narwhal. https://thenarwhal.ca/all-out-canada-ontario-outdoors
  10. Geiger, N., Swim, J. K., & Fraser, J. (2017). Creating a climate for change: Interventions, efficacy and public discussion about climate change. Journal of Environmental Psychology, 51, 104–116. https://doi.org/10.1016/j.jenvp.2017.03.010
  11. Kelsey, E. 2020. Hope Matters: Why Changing the Way We Think Is Critical to Solving the Environmental Crisis. Greystone Books. ISBN: 9781771647779
  12. Homer-Dixon, T. (2020). Commanding Hope. Penguin Random House Canada.
  13. Whyte, K. (2017). Indigenous Climate Change Studies: Indigenizing Futures, Decolonizing the Anthropocene. English Language Notes 55.1 (2017): 153-162.
  14. Clayton, S. (2020). Climate anxiety: Psychological responses to climate change. Journal of Anxiety Disorders, 74, 102263. https://doi.org/10.1016/j.janxdis.2020.102263
  15. Clayton, S., & Karazsia, B. T. (2020). Development and validation of a measure of climate change anxiety. Journal of Environmental Psychology, 69, 101434. https://doi.org/10.1016/j.jenvp.2020.101434
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