Les changements climatiques et les maladies transmises par les moustiques

mosquitos

Lorsque vous pensez à des animaux dangereux, de grandes créatures ou des créatures vénéneuses vous viennent probablement à l’esprit. Mais en fait, les moustiques sont l’un des animaux les plus mortels au monde.[1]

C’est parce que les moustiques peuvent transmettre une multitude de maladies et celles-ci représentent un problème majeur pour la santé publique à l’échelle mondiale.

La plupart des Canadiens pensent que ces maladies (comme le paludisme ou la dengue) appelées maladies transmises par les moustiques (MTM) et dont les moustiques sont des vecteurs se limitent aux climats chauds du Sud. Bien que ces maladies soient beaucoup plus fréquentes sous les tropiques, on s’attend à ce que le réchauffement des températures et l’augmentation des précipitations en raison des changements climatiques au Canada augmentent la présence de certaines MTM ici même au pays.

« [Les moustiques] sont très sensibles au climat, en particulier à la température et aux précipitations », affirme Dre Victoria Ng, scientifique principale et modéliste mathématique à l’Agence de la santé publique du Canada. Madame Ng explique comment les changements climatiques devraient entrainer une hausse des températures et des changements au niveau des précipitations, deux facteurs qui affecteront les moustiques.

Regardez cette courte vidéo: What's the Buzz: Mosquito-borne diseases and climate change

Plus de moustiques dans un monde plus chaud et plus humide

Les maladies transmises par les moustiques augmentent en présence de changements climatiques. Au cours des vingt dernières années, les MTM ont augmenté au Canada de 10 %, en grande partie en raison des changements climatiques.[2]

C’est parce que les cycles de vie, la reproduction et l’alimentation des moustiques dépendent de la température, des précipitations et de l’utilisation des sols[3] Les impacts des changements climatiques peuvent donc modifier l’habitat, la saisonnalité et la distribution des moustiques porteurs de maladies.

Comme l’explique le Dr Richard Rusk, épidémiologiste manitobain, des saisons plus longues peuvent mener à une augmentation du nombre de générations de moustiques adultes chaque année. Si un virus est présent dans la population de moustiques très tôt dans la saison, il peut être amplifié au cours de ce processus, ce qui, en fin de compte, conduit à ce que plus de gens tombent malades. « S’il y a beaucoup plus de gens qui sont exposés, cela signifie que le nombre [de personnes malades] augmente automatiquement », note Dr Rusk.

Les changements climatiques n’ont pas seulement un impact sur les moustiques eux-mêmes. Ils affectent également les animaux qui sont porteurs de la maladie, les micro-organismes qui causent la maladie et comment ces micro-organismes se déplacent entre les animaux et les moustiques. C’est donc difficile de prévoir les changements au niveau des MTM en raison des changements climatiques.

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Les micro-organismes (aussi appelés pathogènes) qui causent les maladies transmises par les moustiques se trouvent naturellement chez les animaux qui deviennent des hôtes pour la maladie. Lorsque les moustiques, qui ont besoin de sang pour leur développement, mordent un animal hôte infecté, ils peuvent être infectés par un virus. Après avoir été infecté, quelques jours sont nécessaires aux moustiques pour reproduire le virus et être en mesure de le transmettre à une autre personne la prochaine fois qu’ils se nourriront.

« Avec les changements climatiques, lorsque la température se réchauffe, cette période d’incubation extrinsèque deviendra plus courte, ce qui signifie qu’ils seront en mesure d’infecter plus d’humains et plus rapidement, car ils ont besoin de moins de temps pour devenir infectieux et transmettre la maladie à l’homme », explique Dre Ng.

En plus d’augmenter le nombre de moustiques, les changements climatiques pourraient également amener de nouvelles espèces de moustiques vers le nord au Canada. Et avec de nouvelles espèces vient le potentiel de nouvelles maladies. [4][5]

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Tous les moustiques ne se ressemblent pas. En fait, il existe environ 80 espèces différentes de moustiques au Canada.[6] De ce nombre, seulement quelques-unes peuvent être porteuses de bactéries ou de virus qui causent des maladies.

Deux des rares espèces de moustiques au Canada qui peuvent transmettre des maladies se nomment Culex pipens et Culex tarsalis. Ces espèces de Culex sont responsables de la plupart des infections par le virus du Nil occidental au Canada. Les Culex pipens se trouvent principalement en milieu urbain, tandis que les Culex tarsalis préfèrent les environnements ruraux.[7] En présence de changements climatiques, on s’attend à ce que ces espèces élargissent leur territoire vers le nord jusqu’au sud du Québec, au sud de l’Ontario, au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve-et-Labrador. Leur nombre devrait également augmenter.[8]

Un groupe différent de moustiques, les moustiques Aedes, revêtent une importance particulière pour la santé publique en raison des maladies exotiques dont ils peuvent être porteurs comme le virus Zika et le virus Chikungunya. « Nous avons récemment remarqué la présence du Aedes albopictus qui est arrivé lentement et graduellement des États-Unis lors d’une migration vers le nord qui l’a amené au Canada », dit Dre Ng. « En 2017, une grande population de cette espèce a été trouvée. [Bien que cela n’ait seulement été que] dans une partie très limitée du sud de l’Ontario, il s’est établi [au Canada]. Avec les changements climatiques, nous pouvons anticiper que ces événements se produiront. »

Les moustiques Aedes sont généralement des espèces tropicales et subtropicales, mais avec les changements climatiques, on s’attend à ce qu’une grande partie du sud du Canada devienne un habitat convenable pour ceux-ci.[9][10] Ils sont déjà considérés comme établis dans la région de Windsor, en Ontario.[11] Cela indique une possibilité accrue de transmission locale de maladies exotiques telles que le Chikungunya pendant les périodes de l’année où les moustiques sont présents.[12] Le tableau ci-dessous décrit certaines des principales espèces qui peuvent transmettre la MTM au Canada.

Espèces de moustiques Maladies dont ils peuvent être porteurs Actuellement au Canada? Impacts en période de changements climatiques
Culex pipiens Virus du Nil occidental et encéphalite de Saint-Louis Oui, surtout dans les zones urbaines Propagation vers le nord, augmentation de la population et de la saison de transmission[13]
Culex tarsalis Virus du Nil occidental, encéphalite de Saint-Louis et encéphalite équine occidentale Oui, surtout dans les zones rurales Propagation vers le nord, augmentation de la population et de la saison de transmission[14]
Aedes albopictus (Moustique tigre asiatique) Dengue, fièvre jaune et virus Chikungunya Oui, seulement à Windsor, région de l’Ontario Propagation vers le nord[15]
Aedes Aegypti (Moustique de la fièvre jaune) Dengue, Chikungunya, virus Zika et virus de la fièvre jaune Non Propagation vers le nord[16]

Virus du Nil occidental

Le virus du Nil occidental (VNO) chez l’homme a été introduit pour la première fois au Canada en Ontario en 2002[17] et revient désormais année après année. Le virus est transmis principalement par les oiseaux et transmis à l’homme lorsqu’un moustique pique un oiseau infecté, puis pique une personne. Dans de rares cas, il peut également être transmis par transfusion sanguine ou transplantation d’organes.

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La plupart des cas de virus du Nil occidental (VNO) ne présentent aucun symptôme et passent donc inaperçus. Dans certains cas, les gens éprouvent des symptômes bénins tels que fièvre, maux de tête, éruption cutanée, douleurs corporelles et ganglions lymphatiques enflés, et dans de très rares cas (moins de 1 %) des symptômes graves qui affectent le cerveau.[18]

En raison de la nature souvent asymptomatique de la maladie, le véritable taux d’infection par le VNO au Canada est inconnu. Les cas signalés varient géographiquement et d’une année à l’autre, les conditions climatiques de la région et de l’année ont une incidence sur le nombre de cas. La carte ci-dessous montre le nombre de cas recensés en 2018. Les zones rouges les plus foncées représentent les zones où les cas sont les plus diagnostiqués, les zones blanches n’ont rapporté aucun cas.

Source: https://www.canada.ca/en/public-health/services/diseases/west-nile-virus.html)

On s’attend à ce que les changements climatiques causent davantage d’éclosions de VNO au Canada. Les flambées de cas ont été liées à des hivers doux, à des sécheresses prolongées et à des vagues de chaleur, tous des phénomènes qui sont plus susceptibles de survenir en présence de changements climatiques.[19] L’augmentation du nombre de moustiques porteurs d’une MTM aura l’effet le plus important sur les populations des zones urbaines en raison de la densité de population plus élevée dans ces secteurs.

Dans les Prairies canadiennes, l’une des régions d’Amérique du Nord où la maladie est la plus courante, la recherche a noté une augmentation du VNO en grande partie attribuable à l’augmentation des températures et à des précipitations plus variables au cours des dernières années.[20]

Chris Knight, un résident de Winnipeg, a été aux premières loges du virus du Nil occidental puisqu’il l’a contracté dans le nord-ouest de l’Ontario il y a près de dix ans, et il fait toujours partie de sa vie aujourd’hui.

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Chris Knight, un résident de Winnipeg, était avec son père sur leur propriété en bordure d’un lac à Kenora pour arpenter les terres de leur chalet quand il croit qu’il a été infecté par le virus du Nil occidental. « J’aurais dû mettre du DEET ou un insectifuge, parce que je suis assez certain que c’est à ce moment-là que j’ai été infecté par ce virus », dit-il. Environ une semaine plus tard, il a commencé à se sentir mal. « J’ai commencé à être vraiment frustré. Je n’étais pas certain de quoi il s’agissait », décrit-il. « Le lendemain matin, c’était pire. J’ai commencé à ressentir de la fatigue, comme si j’étais grippé. » À son retour du voyage, il a consulté un médecin et a fait faire des analyses sanguines. Quelques jours plus tard, il obtenait la confirmation qu’il avait contracté le virus du Nil occidental.

Diagnostiquer le virus du Nil occidental peut être difficile, car la plupart des gens éprouvent des symptômes légers ou aucun symptôme du tout. Pour ceux qui éprouvent des symptômes, le rétablissement peut prendre quelques semaines, voire quelques mois.[21] Le virus peut causer des symptômes tels que des maux de tête et de la confusion, qui sont quelques-uns des symptômes que Chris a éprouvés

« Il a probablement fallu environ six mois pour arrêter d’être frustré [par mon incapacité à faire des tâches pour lesquelles j’étais très expérimenté]. Il a fallu probablement un autre six mois pour avoir l’impression d’être revenu à un niveau normal », explique Chris.

Depuis cette aventure, Chris est plus prudent lorsqu’il va à l’extérieur. « Ce fut certainement un moment mémorable. Donc, quand je me retrouve dans des situations similaires, il est difficile de ne pas retourner en arrière et de me dire, « Eh bien, après avoir eu cette expérience, essayons de ne pas le faire à nouveau. » Et oui, cela a changé mon comportement.

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Comme les maladies transmises par les moustiques deviennent de plus en plus courantes, c’est important de prendre les mesures appropriées pour vous protéger. Certaines façons de réduire votre risque sont d’utiliser un insectifuge, de porter des manches longues et des pantalons longs à l’extérieur, d’éviter de sortir lorsque les moustiques sont les plus actifs (au crépuscule et à l’aube), d’enlever l’eau stagnante autour de votre maison (dans les pneus, les pots de fleurs, les contenants, etc.), et de vous assurer que les fenêtres ont des moustiquaires bien ajustés.[22]

Les maladies transmises par les moustiques peuvent également être contractées lors d’un voyage. « Les changements climatiques n’ont pas un impact uniquement sur le Canada, ils vont avoir des répercussions sur tous les pays où ces maladies circulent », dit Dre Ng. « Nous aimons voyager, nous rapportons des infections. Si les maladies se transmettent plus rapidement dans les pays d’origine, les Canadiens reviendront de ces voyages avec de tels cas de maladies plus souvent. C’est recommandé de parler à votre prestataire de soins de santé avant de voyager afin de discuter des façons de vous protéger. »

Interventions et adaptation en matière de santé publique

Bien que les risques de maladies infectieuses transmises par les moustiques soient relativement faibles au Canada comparativement à d’autres régions du monde où les climats sont plus chauds et plus humides, les effets des changements climatiques augmentent les menaces de maladies infectieuses et d’autres maladies infectieuses existantes et nouvelles transmises par les moustiques. [23] Ce ne sont pas seulement les impacts de ces maladies directement auxquels nous devons nous préparer, mais aussi les autres impacts potentiels des changements climatiques qui peuvent affecter notre capacité d’adaptation et de contrôle de ces maladies.[24]

En raison des changements climatiques, on s’attend à ce que les événements comme les feux de forêt, les inondations et les vagues de chaleur augmentent. Les conséquences cumulatives des événements liés au climat sur la santé pourraient surcharger notre système de santé. Nous devons nous préparer pour les défis que les changements climatiques entraineront.

« C’est très actuel et ce n’est pas quelque chose qui va disparaitre. Les changements climatiques sont un problème et il en sera tout autant pour nos enfants », dit Dre Ng. « Surtout parce que j’ai des enfants, je sais que c’est un problème que nous allons leur transmettre. Je pense donc qu’il est important que nous nous attaquions maintenant à cette question, que nous en parlions et que nous essayions de comprendre les risques inhérents et d’impliquer également nos enfants. »

Il est essentiel d’agir à tous les niveaux, au niveau individuel et à l’international, pour assurer un climat futur sécuritaire et pour protéger la santé humaine. Il est important d’agir à la fois pour réduire nos émissions afin de ralentir les impacts des changements climatiques et il est important de s’adapter aux risques pour la santé, comme les MTM, puisque nous savons qu’elles vont augmenter au cours des prochaines décennies.

Notes

  1. Organisation mondiale de la Santé. « Maladies à transmission vectorielle » https://www.who.int/neglected_diseases/vector_ecology/mosquito-borne-diseases/en/
  2. Ludwig, Zheng, Vrbova, Drebot, Iranpour, et Lindsay. 2019. Increased Risk of Endemic Mosquito-Borne Diseases in Canada Due to Climate Change. Canada Communicable Disease Report 45:91–97. https://doi.org/10.14745/ccdr.v45i04a03.
  3. Wudel, and Shadabi. 2016. Mosquito-Borne Disease in the Americas. Rapid Review | NCCID. https://cdn.centreinfection.ca/wp/sites/2/20170307163055/RapidReviewClimateMosquito-EN.pdf.
  4. Ng et al. 2017. Assessment of the Probability of Autochthonous Transmission of Chikungunya Virus in Canada under Recent and Projected Climate Change. Environmental Health Perspectives https://doi.org/10.1289/EHP669
  5. Ogden, N.H., Milka, R., Caminade, C. et al. Recent and projected future climatic suitability of North America for the Asian tiger mosquito Aedes albopictus. Parasites Vectors 7, 532 (2014). https://doi.org/10.1186/s13071-014-0532-4
  6. https://cwf-fcf.org/en/resources/encyclopedias/fauna/insects/mosquito-1.html
  7. Ludwig et al. 2019.
  8. Wudel and Shabadi, 2016.
  9. Khan, Ogden, Fazil, Gachon, Dueymes, Greer, and Ng. 2020. Current and Projected Distributions of Aedes Aegypti and Ae. Albopictus in Canada and the U.S. Environmental Health Perspectives 128. https://doi.org/10.1289/EHP5899.
  10. Ogden, N.H., Milka, R., Caminade, C. et al. Recent and projected future climatic suitability of North America for the Asian tiger mosquito Aedes albopictus. Parasites Vectors 7, 532 (2014). https://doi.org/10.1186/s13071-014-0532-4
  11. Windsor-Essex County Health Unit. "Aedes albopictus mosquito". Accessed from: https://www.wechu.org/z-health-topics/aedes-albopictus-mosquito
  12. Ng et al. 2017. Assessment of the Probability of Autochthonous Transmission of Chikungunya Virus in Canada under Recent and Projected Climate Change. Environmental Health Perspectives https://doi.org/10.1289/EHP669
  13. Hongoh, Berrang-Ford, Scott, and Lindsay. 2012. Expanding Geographical Distribution of the Mosquito, Culex Pipiens, in Canada under Climate Change. Applied Geography 33:53–62. https://doi.org/10.1016/j.apgeog.2011.05.015.
  14. Chen, Jenkins, Epp, Waldner, Curry, and Soos. 2013. Climate Change and West Nile Virus in a Highly Endemic Region of North America. International Journal of Environmental Research and Public Health 10:3052–71. https://doi.org/10.3390/ijerph10073052.
  15. Khan SU, et al 2020.
  16. Khan SU, et al 2020.
  17. Public Health Ontario. 2015. Vector-Borne Diseases 2014 Summary Report. https://www.publichealthontario.ca/en/eRepository/Vector_Borne_Diseases_Summary_Report_2014.pdf.
  18. Public Health Ontario, 2015.
  19. Austin, Ford, Berrang-Ford, Araos, Parker, and Fleury. 2015. Public Health Adaptation to Climate Change in Canadian Jurisdictions. International Journal of Environmental Research and Public Health 12:623–51. https://doi.org/10.3390/ijerph120100623.
  20. Paz. 2015. Climate Change Impacts on West Nile Virus Transmission in a Global Context. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences 370:1–11. https://doi.org/10.1098/rstb.2013.0561.
  21. Centers for Disease Control and Prevention. “Symptoms, Diagnosis, & Treatment”. https://www.cdc.gov/westnile/symptoms/index.html
  22. Government du Canada. “Prevention of West Nile virus.” https://www.canada.ca/en/public-health/services/diseases/west-nile-virus/prevention-west-nile-virus.html
  23. Ng V, Rees EE, Lindsay LR, Drebot MA, Brownstone T, Sadeghieh T, Khan SU. Could exotic mosquito-borne diseases emerge in Canada with climate change? Can Commun Dis Rep 2019;45(4):98–107. https://doi.org/10.14745/ccdr.v45i04a04
  24. Ogden, and Gachon. 2019. Climate Change and Infectious Diseases : What Can We Expect ? 45:76–80.