Voir l’évolution des océans grâce à la recherche collaborative à Pangnirtung, au Nunavut

pangnirtung

Depuis des décennies, les Inuits sont à la tête des discussions sur les changements climatiques au Canada. L’écrivaine et défenseure inuite Siila Watt-Cloutier dirige ce travail. « En tant qu’Inuits, nous comptons sur le froid, la glace et la neige. C’est notre force vitale », dit-elle. Pour son peuple, le froid et la glace de mer sont au centre de la culture, des transports, de la sécurité, de la santé et de l’éducation. Les changements climatiques ont une incidence sur le mode de vie des Inuits.

Siila Watt-Cloutier et l’importance de la glace de mer pour les Inuits

À ce titre, de nombreux aînés et chasseurs inuits s’inquiètent des changements accélérés qui affligent la terre, l’eau, les systèmes météorologiques et la faune. Les changements qu’ils subissent sont au-delà de ce qui était attendu ou observé dans les histoires orales.[1] Ces observations sont évidentes dans Qapirangajuq: Inuit Knowledge and Climate Change, le premier long métrage sur les changements climatiques en inuktitut, réalisé par le Dr Ian Mauro et le cinéaste inuit Zacharias Kunuk. Des aînés et des chasseurs de partout au Nunavut ont contribué au film et ont exprimé avec fougue leur opinion sur la menace que représentent les changements climatiques pour l’économie, la sécurité alimentaire et la culture.

Vidéo : Inuit Qaujimajatuqangit

Qaujimajatuqangit Inuit (QI) se traduit en anglais par « choses que nous avons toujours sues » (Owlijoot, 2008), ou « ce que les Inuits ont toujours su être vrai » (Karetak, Tester, & Tagalik, 2017). Le QI englobe tous les aspects de la culture inuite, y compris les valeurs, la vision du monde, la langue, l’organisation sociale, les connaissances, les compétences de vie, les perceptions et les attentes (Gouvernement du Nunavut, 2007). Ce système de connaissances et de valeurs est un processus situationnel, dynamique et continu qui s’est développé durant des milliers d’années et qui a permis aux Inuits de vivre dans des environnements arctiques.

En 2016, grâce à sa relation de longue date avec la communauté de Pangnirtung, au Nunavut, le Dr Ian Mauro a été invité avec Natalie Baird, étudiante à la maîtrise au Prairie Climate Centre, à élaborer un projet de recherche communautaire visant à observer les changements des océans par vidéo. Pangnirtun, qui signifie « lieu de nombreux caribous taureaux » en inuktitut, est une communauté côtière éloignée riche en ressources marines naturelles.

Carte de Pangnirtung, Nunavut

La recherche a mobilisé la vidéo collaborative pour travailler avec des experts locaux afin de documenter et de partager les connaissances liées à l’océan. Pangnirtung possède des entreprises de pêche commerciale d’omble chevalier et de flétan noir qui constituent une source importante de revenus et de fierté pour la communauté. De nombreux pêcheurs remarquent des changements chez les espèces de poissons locales, ainsi que des changements dans les conditions de la glace et les conditions météorologiques. Cependant, de nombreuses personnes ont bon espoir que l’entreprise de pêche soit en mesure de réagir et de s’adapter aux changements.

Vidéo : Pêcher avec nos mains à Pangnirtung, au Nunavut

Dans le cadre d’entrevues et de conversations, de nombreuses personnes ont souligné l’importance du soutien des jeunes et du partage intergénérationnel des connaissances comme clé de la résilience. Comme l’ont dit des pêcheurs et le leader communautaire Johnny Mike :

« Comme nous vivons dans l’Arctique, nous sommes les premiers témoins des changements. La jeune génération sera confrontée à beaucoup plus de changements climatiques que ce que nous pouvons voir aujourd’hui. »

Le jeune pêcheur Sean Kullualik lors d’une excursion de pêche à Cumberland Sound.

Mobiliser les jeunes grâce à la recherche axée sur les arts

Les jeunes sont confrontés aux défis que représentent les changements climatiques, mais ils sont souvent exclus de la conversation. Bon nombre d’entre eux ont donc demandé à ce que la recherche soit axée sur la participation des jeunes par l’entremise de mentorat et de formation, comme la Stratégie nationale inuite sur les changements climatiques, qui préconise une recherche pratique sur la terre ferme et qui prône une collaboration entre les jeunes et les aînés.

Une des opportunités à leur disposition est celle des arts visuels. Dans l’ensemble du Nunavut, il existe une vaste économie culturelle artistique, comprenant la sculpture, les arts de l’imprimerie, les arts textiles et la réalisation de films. À Pangnirtung, les arts visuels jouent un rôle matériel, culturel et thérapeutique. Ils représentent une importante source de revenus pour les familles, un outil permettant d’intégrer les connaissances traditionnelles dans les objets d’art et un moyen de guérir et de développer la force. Comme l’a dit la regrettée ainée Elisapee Ishulutaq de Pangnirtung : « Je fais des estampes pour que la prochaine génération sache qui j’étais et ce que j’ai vécu. »

Les artistes et les arts ont la capacité de connecter les gens à travers des histoires partagées, et de cultiver des histoires de résilience. Au cours des dernières années, les communautés et les chercheurs travaillant sur les changements climatiques ont commencé à utiliser l’art comme un moyen de créer des ponts entre les cultures et les générations.

Dans le cadre de ses recherches à la maîtrise, Natalie Baird s’est associée au cinéaste local David Poisey pour animer des ateliers de vidéo, de photographie et de narration pour les jeunes en collaboration avec le Pangnirtung Youth Centre et l’école secondaire Attagoyuk Ilisavik. Natalie et David guident les participants dans la planification, la production, le montage et le partage de récits médiatiques numériques, en anglais et en inuktitut, la langue inuite. Les jeunes et les aînés se sont réunis dans la communauté et sur la terre pour créer des récits numériques liés à l’importance de la terre et de l’eau pour l’identité et le bien-être.

Vidéo : l’ainée Joanasie Qappik partage ses observations sur les changements climatiques

Le cinéaste de Pangnirtung, David Poisey, prône depuis longtemps la vidéo comme outil pour documenter les histoires orales inuites et préserver la langue.

L’importance de la glace de mer et de l’eau de mer pour les jeunes

En septembre 2017, Natalie et David ont travaillé avec le personnel et les élèves d’Attagoyuk Ilisavik pour animer un atelier de photographie avec des élèves en sciences de 10e et 11e année. Les élèves ont construit de simples appareils photo à sténopé à partir de matériaux recyclés et ont expérimenté les temps d’exposition et la photographie en chambre noire.

Lisez également : Comment faire un appareil photo à sténopé avec une boîte à café

Fabriquer votre appareil photo

- À l’aide d’un marteau et d’un clou, faites un trou de 1 cm au centre de la paroi de la boîte à café.

- Peignez l’intérieur de la boîte avec de la peinture noir mat. Laissez sécher. Si votre boîte a un couvercle transparent, peignez-le également.

- Coupez un carré de 5 x 5 cm à partir d’une canette de boisson gazeuse en aluminium. À l’aide d’une aiguille à perler de taille 10, faites soigneusement votre sténopé (petit trou) au milieu du carré d’aluminium. Poncez les deux côtés du morceau d’aluminium pour enlever les lambeaux d’aluminium tranchants. Rincez pour enlever la poussière et laissez sécher.

- À l’extérieur de la boîte à café, alignez votre sténopé en aluminium avec le trou dans la boîte à café. Fixez l’aluminium avec du ruban électrique, en veillant à ce que les bords de l’aluminium soient étanches à la lumière.

- Placez un morceau de ruban sur votre sténopé – c’est votre obturateur.

- Examinez votre appareil photo et assurez-vous qu’il est étanche à la lumière. Il se peut que vous ayez à ajouter du ruban électrique supplémentaire sur le bord du couvercle de votre boîte.

Charger votre caméra

- Dans la chambre noire, chargez votre appareil photo avec du papier sensible à la lumière, en vous assurant que le papier est directement en face du sténopé, côté émulsion vers le haut. Vous voudrez peut-être coller le papier sur la paroi de votre appareil photo afin qu’il ne bouge pas. Fermez votre appareil photo.

Tester votre appareil photo

- Votre appareil photo aura une exposition de 30 secondes en plein soleil. Selon les conditions (couverture nuageuse, heure de la journée, ombre), vous devrez peut-être prolonger votre temps d’exposition. Faites un test pour vous assurer que votre appareil photo crée une bonne exposition en 30 secondes. Installez votre appareil photo dans un endroit où il restera immobile.

- Faites les arrangements nécessaires. Pour les portraits, placez votre appareil photo à au moins 1 mètre de votre sujet.

- Réglez une minuterie à 30 secondes… ne comptez pas dans votre tête. Lorsque vous êtes prêt, ouvrez votre obturateur pendant 30 secondes. Lorsque la minuterie est à zéro, fermez rapidement votre appareil photo. Faites de votre mieux pour ne pas faire bouger l’appareil photo du tout pendant le temps d’exposition.

Développer votre négatif

- Dans la chambre noire, ouvrez votre appareil photo et faites votre tirage de négatifs à l’aide des bacs de papier pour le développement.

- Évaluez l’exposition de votre appareil photo et ajustez votre temps d’exposition en conséquence.

- Le négatif a une bonne répartition des blancs, des noirs et des gris : bonne exposition! Prenez d’autres photos en utilisant le même temps d’exposition et dans les mêmes conditions de lumière.

- Le négatif est très lumineux : votre photo est sous-exposée et la copie positive est très sombre. Augmentez le temps d’exposition (essayez en augmentant de 10 à 30 secondes à chaque fois).

- Le négatif est très sombre : votre photo est surexposée et la copie positive est très lumineuse et faible. Diminuez le temps d’exposition (essayez en diminuant de 10 à 30 secondes à chaque fois).

- Le négatif est gris et n’a pas d’image visible : votre appareil photo peut avoir une fuite de lumière, ou votre papier a peut-être été exposé à la lumière. Examinez votre appareil photo, colmatez les fuites avec du ruban et réessayez.

- Accrochez votre impression afin qu’elle sèche et rechargez votre appareil photo.

Imprimez votre positif

- Pour développer une copie positive de votre négatif, faites une épreuve par contact de votre négatif à l’aide de l’agrandisseur dans la chambre noire, ou numérisez le négatif et inversez l’image dans Photoshop.

Ensuite, les élèves se sont installés sur le rivage pour prendre des photos à partir de la question : « Pourquoi l’imaq (eau de mer) et la siku (glace de mer) sont-elles importantes pour les jeunes? » Leurs photographies relient l’importance de l’eau et de la glace de mer aux activités terrestres, et à la façon dont ces activités renforcent et sont liées à l’identité et au bien-être.

La construction de l’appareil photo à sténopé a permis aux élèves de s’impliquer et de comprendre la construction d’appareils photo et la science de la lumière, puis de mettre ces techniques en action pour réfléchir à la question posée dans le cadre de la recherche.

Photographies des jeunes avec des appareils à sténopé et réflexions sur l’importance de la glace de mer et de l’eau de mer.

Le court-métrage Tariuq Takujannik / L’océan de mon point de vue (The Ocean From My Eye) rassemble le processus de l’atelier et des photographies jumelées avec des voix de Pangnirtung, tissant ensemble de multiples technologies, générations et langues.

Regardez Tariuq Takujannik - L’océan de mon point de vue (The Ocean From My Eye), les perspectives des jeunes sur les changements climatiques à travers l’objectif de la photographie à sténopé.

En raison des qualités uniques des courts métrages et des photographies, ce projet a été largement partagé en ligne et aussi par le biais de conférences universitaires et de festivals de films. L’équipe de recherche continue de collaborer avec les jeunes, les chasseurs et les aînés de Pangnirtung pour explorer les changements climatiques, la santé et le bien-être grâce à des partenariats avec ARCTIConnexion et le hameau de Pangnirtung.

Photographie à sténopé d’étudiants à l’extérieur d’Attagoyuk Ilisavik à Pangnirtung, Nunavut