Plusieurs des maladies et des ravageurs forestiers les plus connus du Canada sont devenus des noms très familiers au cours des dernières années :
- Le dendroctone du pin ponderosa a tué une grande proportion des pins tordus latifoliés (pin lodgepole) de la Colombie-Britannique de la fin des années 1990 jusque dans les années 2010 et s’est aussi propagé vers l’est, menaçant les forêts de l’Alberta; [1]
- L’agrile du frêne a agressivement attaqué les frênes verts de l’est du Canada, tuant 99 % des frênes de Toronto dont la population était estimée à plus de 850 000. L’agrile se propage actuellement à l’ouest des Prairies; [3] and
- La maladie hollandaise de l’orme décime lentement mais sûrement la population des majestueux ormes d’Amérique présents dans plusieurs cités et villes du centre et de l’est du Canada. [4]
Dans des conditions normales, les ravageurs forestiers et les maladies affectant les arbres peuvent représenter des agents de perturbation naturels qui favorisent la diversité et la santé des forêts. Malheureusement, notre climat qui se réchauffe modifie l’équilibre écologique et en fait une menace de plus en plus présente.
Terry Teegee connaît très bien les forêts de la côte ouest et a été témoin des impressionnantes conséquences des dommages causés par les insectes. Il est le directeur régional de la British Columbia Assembly of First Nations, chef de tribu du Carrier Sekani Tribal Council et un forestier professionnel agréé. Teegee et sa communauté ont été témoins d’éclosions sporadiques de dendroctones du pin qui remontent à plusieurs générations : « nos aînés en parlaient : on nous racontait l’histoire de la forêt qui était de couleur rouge sang. » Récemment cependant, les infestations de dendroctones du pin ont atteint une ampleur gigantesque pour ce qui est des conséquences et de l’étendue.
Les chiffres sont stupéfiants. Au début des années 1990, le dendroctone détruisait en moyenne 45 400 hectares de forêt par année; entre 2004 et 2014, le dendroctone était cent fois plus destructeur, ravageant plus de 6,4 millions d’hectares par année. [5] Teegee a observé le déroulement de cette dévastation. « Nous avons vu un vaste secteur être infesté de plus en plus rapidement », dit-il. « Cela est dû aux changements climatiques. »
Teegee affirme que les changements climatiques occasionnent des hivers et des étés plus chauds et que ces deux changements saisonniers contribuent à l’impact massif du dendroctone. « Dans le passé, il y avait un gel hâtif des terres et des arbres en octobre et ceci permettait de “contrôler” le dendroctone du pin ponderosa. Cela ne s’est pas produit suffisamment souvent depuis les années 1980. Teegee mentionne également : « Avec les changements climatiques, nous avons remarqué des étés beaucoup plus longs ce qui signifie qu’il y a 2 volées de dendroctones du pin ponderosa. Cela est sans précédent, mais cela s’est produit de plus en plus au cours des 20 dernières années. »
Les plus récentes infestations de dendroctones du pin ponderosa en C.-B. ont en grande partie fait leur temps, principalement parce qu’ils ont tué la plupart des espèces d’arbre privilégiées. Par contre, ceci ne signifie pas que la menace a disparu. Teegee affirme que « 2008 a été en fait le moment où le dendroctone du pin ponderosa a cessé d’avoir besoin des pins parce qu’il n’en restait plus. Son voyage se poursuit maintenant dans la forêt boréale. Les dendroctones ont commencé à attaquer les pins gris [6] et les chercheurs forestiers ont identifié les changements climatiques comme le principal facteur de risque dans l’éventualité où cette espèce destructrice se propagerait dans les vastes forêts de pins de l’est du Canada. [7]
La constatation par Teegee d’étés et d’hivers plus chauds menant à une soudaine explosion des dommages causés par les insectes est un modèle dont on a également constaté l’existence avec d’autres ravageurs au pays. À Toronto, par exemple, les étés plus chauds ont permis aux populations d’agriles du frêne de passer par deux cycles reproducteurs plutôt qu’un seul, doublant leur rythme normal d’infestation. [8] La recherche a également démontré que d’importants coups de froid sont nécessaires en hiver pour limiter l’éclosion de plusieurs ravageurs incluant l’agrile du frêne [3] et la livrée. [9] Le réchauffement du climat affaiblit donc les contrôles naturels sur les populations de ravageurs tout en accélérant leur vitesse de croissance et de reproduction. Cette combinaison permet aux ravageurs de se propager beaucoup plus loin et plus rapidement qu’auparavant.
Les ravageurs qui attaquent de nouvelles espèces et qui se dirigent dans de nouveaux écosystèmes sont des conséquences préoccupantes des changements climatiques. Les insectes se retrouvent désormais dans des endroits inattendus comme près du sommet des montagnes ou très au nord du pays, près de la limite de la zone arborée. [10] Ces changements au niveau des habitats et des naissances peuvent se produire rapidement et peuvent avoir des conséquences dévastatrices lorsque les infestations atteignent des forêts dont le stade d’évolution n’est pas suffisamment avancé pour résister à ces menaces envahissantes.
Les arbres, bien sûr, ont des moyens de défense naturelle qui leur permettent de repousser plusieurs types de ravageurs et de se remettre de plusieurs maladies. Malheureusement, les mêmes changements climatiques qui facilitent une propagation agressive des insectes ont également un impact sur la capacité des arbres à se défendre contre ces derniers. Lors de conditions plus chaudes et plus sèches comme celles associées aux périodes de sécheresse, les arbres ont moins de résilience face aux effets des insectes et des maladies. [11] Lorsqu’ils font face à plusieurs sources de stress, comme une attaque d’insectes durant une sécheresse, la probabilité que les arbres meurent augmente. [12][13]
En savoir plus : Défoliateurs
Les insectes comme l’agrile du frêne et le dendroctone du pin ponderosa attirent beaucoup l’attention du public, mais les problèmes de santé des arbres causés par les défoliateurs (des insectes qui consomment les feuilles des arbres) représentent également un problème sérieux. Deux défoliateurs communs sont la livrée des forêts [14] qui mangent les feuilles de plusieurs arbres incluant le peuplier faux-tremble, le chêne, le frêne, l’érable et le bouleau blanc, et la tordeuse des bourgeons de l’épinette, un défoliateur très destructeur et très répandu en Amérique du Nord, qui s’attaque aux épinettes et aux sapins. [15]
Les changements climatiques engendreront probablement une activité croissante des livrées, car des hivers plus chauds réduisent la mortalité des insectes. [9] Dans un même ordre d’idées, la défoliation causée par la tordeuse des bourgeons de l’épinette est liée à des hivers plus doux et à des étés plus chauds et plus secs[16], Dans un même ordre d’idées, la défoliation causée par la tordeuse des bourgeons de l’épinette est liée à des hivers plus doux et à des étés plus chauds et plus secs [9], probabilité qui augmente aussi dans un climat qui se réchauffe. (Pour de plus amples informations, consultez notre article sur les changements climatiques et les feux de forêt.)
Atténuation et adaptation
Les stratégies de gestion des forêts urbaines et des forêts sauvages peuvent jouer un rôle important dans la réduction des impacts des ravageurs forestiers face aux changements climatiques.
La ville de Winnipeg et la province du Manitoba ont mis en place des stratégies pour ralentir la propagation de la maladie hollandaise de l’orme, incluant des pratiques en matière d’entreposage du bois de chauffage, de l’émondage, de la détection hâtive et du retrait rapide des arbres infectés. [17] L’Alberta et la Saskatchewan ont mis en place une multitude de stratégies ciblées sur le dendroctone du pin ponderosa, espérant ralentir sa propagation, bien qu’elles savent qu’il sera peut-être difficile à arrêter complètement. [18]
Les projections climatiques telles que celles présentées dans l’Atlas climatique sont essentielles pour façonner les stratégies de gestion, tant dans les environnements urbains que sauvages. Les projections indiquent des changements de température qui pourraient avoir un impact sur les endroits où l’on pourrait retrouver des ravageurs dans l’avenir, ainsi que les conditions auxquelles feront face les arbres quand les changements climatiques altéreront la distribution saisonnière de la chaleur, du froid et des précipitations.
Un des principaux messages découlant de la recherche forestière est que les changements climatiques entraîneront probablement des perturbations soudaines et imprévisibles. [19] Les aménagistes forestiers devront cultiver des arbres résistants et adopter des pratiques de gestion variées, car les changements climatiques impliquent d’être prêt pour l’inattendu.
Ultimement, la façon la plus directe de préserver nos forêts face à ces menaces est de passer à l’action de manière rapide et efficace pour empêcher les changements climatiques de s’accélérer. Moins il y aura de réchauffement, moins il y aura de tension sur le monde naturel et moins nos pratiques devront s’ajuster aux risques plus importants.
Teegee affirme : « Je crois que la situation est critique en ce qui concerne les changements climatiques, mais s’il y a un bon côté c’est que l’être humain est tenace. Nous ferons les changements. » Pour Teegee, réagir face aux changements climatiques c’est reconnaître que « nous avons perdu le vrai contact avec la terre » et que fondamentalement « nous avons vraiment réfléchi à ce qui est important dans nos vies » pour vivre en parfaite harmonie avec la nature.
References
- Ressources naturelles Canada. « Dendroctone du pin ponderosa. »
- CBC News. “Toronto's ash trees face extinction.” (2011)
- City of Winnipeg. “Emerald Ash Borer.”
- Ressources naturelles Canada. « Maladie hollandaise de l’orme. »
- Conmseil canadien des ministres des forêts. Base de données nationale sur les forêts. « Les insectes forestiers.»
- Ressources naturelles Canada. « Ralentir l’avancée du dendroctone du pin ponderosa. »
- Service canadien des forêts. “Predicting the risk of mountain pine beetle spread to eastern pine forests: considering uncertainty in uncertain times.”
- CTV News. “Hot, dry weather accelerated Toronto's emerald ash borer tree crisis.”
- Haynes, Kyle & Allstadt, Andrew & Tardif, J. (2014). “Effects of climate change on forest tent caterpillar outbreak dynamics based on a century of tree-ring data.”
- Weed, Aaron S.; Ayres, Matthew P.; Hicke, Jeffrey A. 2013. “Consequences of climate change for biotic disturbances in North American Forests.” Ecological Monographs 83(4): 441-470. https://www.fs.usda.gov/treesearch/pubs/48358
- Allen, Craig D. et al. “A global overview of drought and heat-induced tree mortality reveals emerging climate change risks for forests.” Forest Ecology and Management 259.3: 660-684.https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S037811270900615X
- Anderegg, William R. L et al. (2015) “Tree mortality from drought, insects, and their interactions in a changing climate.” New Phytologist. doi: 10.1111/nph.13477. https://www.fs.usda.gov/treesearch/pubs/49632
- Globe and Mail. “Drought-stricken forests in B.C., Alberta face new threat from insects.”
- Ressources naturelles Canada. « Livrée des forêts »
- Ressources naturelles Canada. « Tordeuse des bourgeons de l’épinette »
- Ressources naturelles Canada. « Les effets des changements climatiques sur les impacts des infestations de tordeuses des bourgeons de l’épinette »
- City of Winnipeg. “Dutch Elm Disease Research.”
- Province of Alberta. “Alberta's Strategy - Mountain Pine Beetle in Alberta.”
- Williamson, T.B et al. Climate Change and Canada’s Forests: From Impacts to adaptation.
Référence d'article recommandée
Atlas climatique du Canada. (n.d.) Les ravageurs forestiers et changements climatiques. Prairie Climate Centre. https://atlasclimatique.ca/les-ravageurs-forestiers-et-changements-climatiques